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Stéphane Lambion pour Poezibao
Les linges suspendus, quelque part au jardin ou à vos fenêtres.
Vous viviez à vous saluer d’un bout à l’autre,
écrire les vies qui passaient, les bonjours, je pense à toi.
Vous envoyiez des mots que vous ne saviez pas poèmes,
ce n’était parfois rien, pas des rimes, dire en peu de mots.
Prendre soin de les aligner dans la couleur des jours.
Ce texte de la page vingt-huit, Cécile Guivarch le sait poème, puisque le projet de C’est tout pour aujourd’hui est précisément de transformer en poésie tout un ensemble de lettres et de cartes postales du vingtième siècle confiées par des proches. C’est donc un projet de mémoire – presque une sorte d’archivisme poétique, tant est minutieuse l’attention portée par l’autrice aux documents qui ont été mis en sa possession.
Sont d’ailleurs égrenées en caractères italiques, au fil du livre, des transcriptions de ces correspondances qui font contrepoint aux poèmes. C’est là un procédé qui correspond tout à fait au double projet de Cécile Guivarch : d’un côté, elle cherche à mettre en lumière – à dépoussiérer, littéralement – des voix d’antan, tandis que de l’autre côté, elle tente de jeter un pont entre ces voix et les nôtres, nos voix contemporaines. La structure du livre le montre bien : une courte première partie s’intitule « De vous à moi », suivie de la partie centrale qui a pour titre « Vous », pour se clore enfin sur ce qui a presque une allure d’épilogue : « C’est nous, aujourd’hui ».
Souvent quotidiens, les écrits des vies minuscules sur lesquelles Cécile Guivarch se penche portent en eux une forme de tranquillité et de calme si puissante qu’elle en rayonne ; le travail d’écriture de la poète fait écho à cette simplicité et donne l’impression de n’être qu’un simple miroir où les mots auraient été décantés par le filtre du temps et de la sensibilité de la poète. Si certains fragments s’ancrent dans des contextes historiques nettement définis (comme ceux des pages soixante et soixante-et-un qui évoquent directement la guerre), la plupart restent assez flottants d’un point de vue temporel : ce qui semble intéresser la poète, ce sont davantage les traces du passé, le halo de lumière dont sont entourés les lettres et les cartes postales qui constituent son matériau d’écriture.
Cependant, il est impossible de rester neutre face à la prise de conscience du passage du temps : dès lors, en même temps que Cécile Guivarch redonne leur éclat aux traces de lumière qui traversent les écrits qui lui ont été confiés, elle questionne l’intemporalité de l’échange humain – on lit par exemple, à la page soixante-neuf, ce très court poème :
Mais peut-être que les mots d’autrefois
sont toujours les mêmes qu’aujourd’hui.
Cela me fait plaisir de vous savoir en bonne santé.
Autrement dit, la recherche de Cécile Guivarch ne se cantonne pas au dépoussiérage des traces de lumière qu’elle trouve dans son matériau, mais elle se poursuit par une interrogation sur, disons, les traces de ces traces, c’est-à-dire sur ce qu’il en reste aujourd’hui – comme dans ce poème de la page trente-et-un où la poète s’adresse directement à celles et ceux sur qui elle écrit :
Vous n’aviez besoin de rien pour écrire.
L’encre coulait sur le dos de la carte.
Simplement la santé est bonne.
Le printemps reviendra, il revient chaque année.
Vous revenez aussi, d’un siècle à l’autre où l’on s’écrit.
Entre hier et aujourd’hui, cela ne fait pas tant de temps.
C’est bien ce qui ressort de la lecture de C’est tout pour aujourd’hui : si la poète écrit à la page dix-neuf : « Il y a tant d’espace entre vous et moi que j’écris dans la marge », c’est une sensation qui s’atténue au fil des textes, pour finalement faire comprendre qu’écrire dans la marge n’est pas nécessairement le signe d’une distance, mais au contraire d’une continuité qui se révèle aussi bien dans les actions les plus simples (mettre les mains près du feu, dire bonjour au voisin) que dans les sentiments les plus forts – comme à la page cinquante-et-un :
Je vous imagine, Gabrielle,
belle de vos tissus de dentelles,
vos rubans au chapeau
et vos sourires en pensant à lui.
Vous étiez deux amoureux d’un autre temps,
cela fait plus de cent ans.
Votre amour dure toujours,
les plantes ont poussé,
le lierre vous a resserrés,
vous êtes pour longtemps
sous mes doigts.