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L’apaisement n’est que de pure forme, faut-il préciser, car la quiétude le dispute à l’inquiétude, le tourment affleure sans être offert en pâture, la souffrance est depuis longtemps dépassée mais des échos nous en parviennent de lieux et temps où elle a été mise au jour, puis pris racine et d’où elle resurgit encore. À la faveur du soir estival, notamment, dans la proximité des faubourgs ou de l’écoulement d’un fleuve.
La poésie de Leuckx ne verse par dans l’outrance, elle n’agresse pas le lecteur mais vise la nuance, l’ambivalence des choses dont se nourrit toute poésie estimable. On est ici dans l’effleurement, ce qui sous-tend le réel, ce qui se dit sous la couche des apparences, entre veille et sommeil, quand la lumière s’estompe et révèle les reliefs du jour en passe d’être assimilé.
Le recueil est divisé en cinq sections qui, jouent, résonnent entre elles. Comme dans ses derniers recueils, l’écriture de Philippe Leuckx abolit la frontière entre phrase et vers, elle se moule dans une forme souple, tantôt se prêtant à la prose poétique, tantôt usant de l’aphorisme… Une poésie qui s’accorde aux inflexions du cœur, au meilleur sens du terme, car le cœur est cette entité symbolique qui peut aussi bien s’émouvoir, se rebeller, se souvenir, gronder ou murmurer.
Attardons-nous justement sur le cœur et quelques autres motifs leuckxiens : l’été, l’air, le soir…
Le cœur, ici, est de vent, plein d’épingles ou de fenêtres ou encore petit cœur de coquelicot ; on aura jamais si bien évoqué cœur dans le sillage des mouvements duquel, évidemment, ce recueil s’inscrit.
L’été est la saison chaude, celle qui recèle les parfums les plus violents, c’est aussi le temps de l’avant, de ce qui a été, celui de l’ensemencement, mais aussi celui de l’étant, de la floraison, ce sur quoi on a prise: l’espace de la vie même.
L’air relie invisiblement le ciel à la terre, il permet l’inspir et l’expir, il est ce milieu où les ondes poétiques se propagent et se télescopent…
Le soir est l’heure où la lumière – qui s’étire jusqu’aux veines – appartient au poète, où il s’efface, consent à l’obscur, le moment où quelque chose de compté dans l’air stoppe l’avancée du jour vers la nuit et invite, oblige au retour sur soi, au silence.
Le soir met aussi en correspondance éléments du paysage et bribes de souvenirs.
Philippe Leuckx
Poésie subtile que celle de Leuckx, qui rend au lecteur les émotions que le poète à récoltées, cueillies au gré de ses pérégrinations, celles qui, tapies au fond en nous, sont de l’ordre du songe éveillé, de la réminiscence.
Les rues parfois mènent et le cœur, méthodique, suit les signes.
Arpenter les rues en guettant les signes semés sur le parcours mène à soi, conduit cet impénitent voyageur des pays intérieurs à l’essentiel
… puisque l’aventure, tu le sais, commence derrière le premier terril, derrière la dernière brèche incisée dans cette ruelle désaffectée où tu as plongé comme sur un trésor (…) Dans le creux des mots d’une vie.
Écrire pour rendre conte le réel, n’est-ce point la tâche noble du poète.
J’écris dans l’intervalle des temps entre ville et jardin, dans l’anse des murmurantes mémoires.
L’espace que foule le marcheur, d’errance en vagabondage, de cheminement en balade, fleuve longé, dans les faubourgs des villes et de la mémoire, renvoie à ses méandres intérieurs, rebondissent sur l’enfance.
Plus loin la courbe des souvenirs et la ligne sourde des peupliers.
Quand l’enfance, visée par les mots, cette perle soudain retrouvée, se révèle, se réveille soudain là, intacte, ravivée, avec son lot d’émerveillements et de blessures premières, le temps où s’expérimente de façon décisive le monde…
Les venelles coulent dans les veines, le temps s’amalgame au sang. Ce sang qui n’oublie rien du temps passé entre nous.
Au soir, dans la demeure de l’être, d’avoir épuisé l’ombre, rameuté le souvenir, compté l’air…
L’enfant blessé d’ombre
Se recoud au soleil
Cette démarche poétique illustre à merveille cette définition de la poésie de Zéno Bianu : « le lieu où l’esprit fusionne avec l’espace ». L’esprit ou le cœur.
Dans sa préface, Françoise Lefèvre qualifie Philippe Leuckx de wanderer, ce marcheur inlassable entre l’Escaut et le Tibre… Sa poésie lui fait penser certes à la musique de Schubert mais aussi à la légèreté tragique de Mozart. Elle le dit si proche d’Hölderlin et ses frères en poésie… parmi lesquels, à coup sûr, Supervielle, Hardellet, Follain, Pessoa ou Françoise Lefèvre elle même… qui l’accompagnent dans cette langue douce de l’errance qui nous emporte avec lui dans son nid de paroles pour cheminer vers des pays intérieurs en pèlerin de soi, allègre et songeur.
Éric Allard