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Quel meilleur titre pour cet ensemble de poèmes ? En effet, une idée d’effacement en traverse le déroulé en demi-teinte. « En suspens, le temps n’est qu’un pourvoyeur de mots traçant leur chemin sur la langue, autour de laquelle nous ne sommes qu’ébauches, dans le jour qui s’en va de compagnie avec la mort et reviendra avec elle à son bras. » peut-on lire en ouverture de la partie éponyme de ce livre (la deuxième sur quatre qui le constituent). Effacement ou dilution de l’être face aux grandes questions – le sens, la fin promise à tout et à tous – dans des notations sans grandiloquence : « Quelque chose se détache de nous au moment où nous voyons une feuille tomber sur le sol […] ». Une intranquillité se dit, transpire, pour autant nulle métaphysique appuyée ou trop intellectualisé, plutôt un pigment particulier sur le papier, qui affleure et donne cette coloration. Ainsi, le premier petit pavé de ce poème (chaque texte du livre en comporte deux à chaque fois, hormis le dernier) :
« Les yeux regardent de vastes étendues de terre, longuement, au point de les sentir peser en soi, éprouver leur abandon ou leur attente d’être cultivées, quand derrière nous, il y a tout ce qui nous attend et que nous ne voulons plus voir. »
L’ensemble est certes empreint de gravité, d’une obsession de la disparition (de soi, des êtres aimés…), mais sans complaisance morbide, on croit même pouvoir respirer, sous cette chape : « Nous regardons, sans lire, la page écrite. A cet instant, nous aimerions, de leur apparence de nymphe, voir des mots s’extraire quelque chose d’ailé, de leur chrysalide. » ou encore : « Dans la fenêtre le jaune d’or des feuilles embrase le ciel. La voix, calmement, dit aimer l’automne. Une mouche lui répond sur la vitre. », comme un désir d’apaisement.
« Il y a, en plein midi, tout ce qui vient et s’en va à la fois, il y a une vie fantôme, quelque chose qui se retient d’apparaître, et, portés par la houle des champs de blé, des murmures trop lointains pour en saisir le sens. Tout semble, non pas à imaginer ou à accomplir, mais à rejoindre. »
Rejoindre. N’est-ce pas souvent la tentative du dire poétique ? Dans ce peu de soi que décline Michel Bourçon, l’auteur, dont je sais les rituels d’écriture, a cet entêtement du prisonnier qui creuse son tunnel jour après jour. Les après-midis que lui laissent les horaires ingrats de son dur métier alimentaire, il répète sieste, café, disque d’une musique qui n’accaparera pas trop son attention pour sa seule écoute ; et écriture, assis face à la fenêtre. Une écriture qui, à l’image des musiques minimales qu’il affectionne dans ces moments-là, va chercher à rejoindre ce peu de soi que l’existence laisse aux individus d’une extrême sensibilité et où « Chaque chose devient le visage de l’attente qui sera toujours là et nous retrouve partout. »
Ces poèmes ont été écrits entre septembre 2011 et décembre 2013, on a là, déjà, la mesure de la durée sur laquelle s’est peu à peu constitué ce qui deviendrait en 2016 seulement un livre. Le temps a une importance capitale dans ce recueil, il est évoqué avec insistance, questionné, dénoncé : « Le temps qui nous est imparti est un emmurement. » car il est la dimension qui contient notre mouvement vers son terme, c’est pourquoi le poète n’a pas besoin de philosopher avec la précision du concept car il le sait, le sent, l’attend et s’attache à en toucher l’essence différemment, comme dans ce bref et unique poème de la dernière page :
« Le jour prend fin, mais jamais l’attente que l’on peut voir, le soir, au creux de mains tremblantes, éclore auprès des lampes. »