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Angèle Paoli dans Terre de femme
LA POÉSIE DE PHILIPPE LEUCKX, UN « LIMON DE PASSAGE »
« L’enfant blessé d’ombre
se recoud au soleil »
Ainsi se clôt, sur ces deux vers, le dernier recueil de Philippe Leuckx : Ce long sillage du cœur. On trouve là, rassemblés en peu de mots, les motifs essentiels qui courent au long des poèmes. L’enfance omniprésente, bien que devenue floue par le « temps incertain » laissé par les souvenirs, en est un des leitmotive. Enfance paysanne blessée, vécue dans les paysages du Hainaut. Talus fenaisons chapardages de fruits, jeux de peu, la modestie draine la vie du jeune garçon livré le plus souvent à la solitude :
« J’avais pour compagnie
Un ruisseau
À peine sorti des talus
Que déjà encavé
Je m’égarais alors
À lire entre les fils
De clôtures
Les taches
De vaches pie. »
Rêves inaboutis d’écorché, sentiment d’incomplétude bercent l’ordinaire des jours. Tout cela qui affleure est suggéré plutôt que dit. Tout dans la poésie de Philippe Leuckx s’écrit dans la douceur. Et si blessure il y a, durable, têtue, solidement ancrée dans le cœur ‒ cœur omniprésent lui aussi et polymorphe dans les images qui le nomment ‒, émergent dans la sensibilité du poète des moyens de remédier aux failles et sillons creusés par la souffrance. Si l’ombre joue sa partition au même titre que le gris – « L’air soudain a ses petites morts grises » ‒, la lumière joue aussi la sienne qui contribue, comme les mots, à ravauder et à apaiser ce qui longtemps a souffert de déchirure :
« […] Je bêche quelques mots ‒ il y a au jardin une pensée profonde
Creuse
Creuse
[…]
Le ciel fait ce qu’il peut s’il est gris
Je range la bêche à l’étroit
Dans la langue du sol. »
Le soleil réparateur, c’est peut-être celui de la Grèce et des îles que le poète oppose (à quelques pages d’intervalle, et sans insistance ni plainte) à la grisaille mélancolique des terrils.
« Traversant Treherbert notre enfance avec ses maisons minières minces et grises
[…]
Traversant Treherbert comme une longue mélancolie en mode mineur. »
Et, plus avant, dans un autre poème :
« Nauplie déplie ses venelles et les rues montent avec la lumière
Dans le jour plein et dense écrire épuise l’ombre… »
Mais jamais, chez lui, d’accablement, de révolte, de désespoir. Tout est calme et presque serein dans le paysage mental du poète du Hainaut. Comme dans ce poème aux accents hugoliens :
« Au-delà des rumeurs
La lumière ruse
À l’heure où les herbes
Vont boire
Un abri sous les fleurs »
Tout se joue en demi-teinte dans les six sections qui forment le recueil. Sans lyrisme excessif ni excès d’aucune sorte. Qu’elle se présente sous la forme de poèmes ou sous celle de petites proses parfois réduites à peu de lignes, la poésie de Philippe Leuckx est celle d’un « pèlerin tranquille » qui va au plus profond chercher les mots qu’il reconduit sur la page, vers la lumière. Voyageur mélomane, attaché à accueillir « l’intime partition du jour qui fuit » ou à bercer son « chagrin nomade », le « wanderer des Flandres » dont Françoise Lefèvre chante l’éloge dans sa préface, est depuis longtemps « pèlerin de soi », ce « promeneur [plus] pressé d’en découdre avec lui-même ». Et qui y parvient, grâce à « ces bribes de poèmes qu’effleure le paysage ».
« Chaque poème rend pèlerin de soi », écrit Philippe Leuckx en fronton d’une page vierge. Une affirmation qui rend bien compte de l’esprit du poète vagabond qui creuse loin en lui ; de son goût pour « cette langue douce de l’errance » qui est la sienne. Ne laisser derrière soi qu’un « limon de passage », ce peu de traces ‒ « ces petits leurres du lexique » ‒ , qui témoignent, par les coutures qui affleurent ici et là, dans le tremblé de la main, d’une « enfance manquée » que le cœur du poète, tantôt « plein d’épingles », tantôt « plein de fenêtres / [e]t d’étoiles vers les confins », frôle, à peine.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
LA POÉSIE DE PHILIPPE LEUCKX, UN « LIMON DE PASSAGE »